On a reussi a mettre des croquis! Mais les photos dans cet article viennent toujours d'internet... Nous sommes completement desapointees face a ce qui est pour nous l'obscurentisme des technologies nouvelles.
Nord du Maroc a Sebta
Apres Chefchaouen, il nous reste deux jours de route pour arriver en Espagne. Deux beaux cols puis une descente enthousiasmante (nous sommes a 66 kms du detroit!). Nous passons notre derniere nuit sur le sol marocain.
Le lendemain, on file sur le littoral. La Mediterranee, ce lien entre tous les pays traverses, apparait a nouveau.
On regarde au loin de cette etendue bleue. De l'autre cote, la Syrie, le Liban, la Jordanie... Les esprits traversent la distance, filants vers ces horizons lointains. Lointains et pourtant, la surface bleue sans obstacles nous rapprochent, de ses gens, ses paysages; et les souvenirs affluent. Le littoral est tres riche, piste cyclable, trottoir, jardiniers, hotels et voitures de luxe... On ne se sent deja plus au Maroc. Puis voila qu'on apercoit Sebta (Ceuta). Cette pointe de terre, petit bout de Maroc appartenant aux espagnols. Sentiment bizarre lorsqu'on passe la douane, nous sommes encore sur le continent africain et pourtant le drapeau de l'union europeenne flotte dans l'air. Un vent de liberte nous touche, une bourrasque bienvaillante, un sentiment d'etre chez soi. Les filles sont en shorts et debardeurs, plus de questions, on respire. Mais un pincement au coeur aussi. Laisser derriere soi les pays arabes, leurs simplicites, leurs veracites, leurs chahuts, leurs joies et leurs peines, mais aussi le chant de l'imam, le bruit des rues, les senteurs... Apres 1h de bateau, on pose pieds et velos sur le continent europeen a Algeciras.On s'est promis de feter notre arrivee en Espagne en degustant tapas et sangria. Finalement en passant devant un restaurant chinois, on decide qu'il en sera autrement. On se balade ensuite dans les rues de la ville europeennes, apprecions le luxe de pouvoir s'assoeir a un bar et boire une biere. Les rues sont calmes, propres, on regarde les vitrines eclairees des magasins pourtant fermes. Trop de depaysement, on rentre a notre hotel "Le Marrakech", il ne faut pas que le changement soit trop brutal.
Sebta-Algeciras
A Algeciras de bon matin, allons a la recherche d'un petit dej'. Il est 7h, tous les magasins encore ouvert hier soir sont fermes! Il va falloir reprendre les reflexes d'Europeennes. Un seul est ouvert: il est tenu par un Marocain!
Nous reprenons nos velos. Pour sortir de la ville, on atterri sur l'autoroute. Seulement quelques kilometres, c'est deja trop! On prend la sortie vers Ronda. ouf! Une jolie route de campagne, calme, avec une piste cyclable! Apres un petit village, on pique-nique dans l'herbe. On est en debardeurs. Un gars passe a cote de nous, sans nous siffler, et sans nous demander en mariage. Que c'est tranquille. Nous ne sommes plus d'etranges energumenes, mais on se noit dans le decor. Cela a aussi son revers de medaille: On ne se fait plus inviter, et lorsqu'on s'intalle dans un cafe personne ne vient nous parler. chacun entre amis, a sa table, et avouons-le, nous faisons de meme...
La route deviens vite tres montagneuse. Lacets et raides virages sous la chaleur, mais quelle vue! Les jolis petits villages andalous blancs et aux tuiles rouges, perches sur la montagne, comme celui de Gaucín, non loin duquel nous posons notre bivouac dans un petit verger. Un homme au visage rond nous offre deux grosses poignees d'amandes.
Le 17 juin, on pense a Lili qui planche sur une feuille cadrillee du bac. Quant a nous, on monte et on descend, , mais en pente raisonnable. Rien a voir avec la route du Rif! Des pentes raides mais regulieres, on avance. Et le goudron lisse! Et le belles pentes, et le vide present, et le paysage grandiose! Trois cols aujourd'hui, trop motivees. Puerto del Espino, Puerto de quelquechose d'autre, avant Ronda ou l'on s'arrete quelques heures. Haut lieu de l'invasion arabe, la ville est perchee sur une falaise. Au dessus d'une faille, un immense pont de pierre, au fond une riviere. La ville compte aussi un amphitheatre et est connue pour ses corridas.
Puis Puerto El Saltillo et suit une descente en douceur vers Campillos.
C'est toujours la forme avec le soleil d'Espagne. Quelques detours pour eviter les autoroutes qui ont ete construites par dessus les nationales. En soiree, nous arrivons a Archidona, apres 81km sur une route bien vallonee entre les montagnes.
L'Espagne, c'est du soleil mais aussi quelques belles forets, des champs d'oliviers partout, des villages soignes et suspendus sur les pentes, et des lacs. A Iznajar, on s'arrete au bord du lac, coince entre les pentes et son barrage. Priego de Cordoba est un village ou l'on s'arrete boire un cafe. En en sortant, la route longe une gorge au fond de laquelle chante un torrent. Les villages et petites villes se succedent les jours suivants: Martos, Los Villares, Jaen, Ubeda. avant Ubeda, nous roulons au milieu d'un grand chantier: l'autoroute en construction. Ce n'est pas si desagreable que ca peut sembler, il y a peu de circulation, des ouvriers en habits fluo partout. Deux d'entre eux, un gars et une fille, jeunes et bronzes, nous arretent. La fille a tendu du bout du bras son panneau: "stop". La journee passe au soleil, a faire la circulation. Un petit quart d'heure a essayer de parler l'espagnol, ils nous parlent du parc national de Cazorla. Passage oblige! Ils nous offrent deux beaux gilets de securite fluorescents.
Nous sommes le 21 et ce soir, comme tant d'autres, nous plantons la tente dans un champs d'oliviers. Pas de musique a part nos chants timides et faux, mais un vin rouge espagnol aux epices, du pate, du gaspacho pour feter l'ete. Deux lanternes rondes et rouges en papier, trouvees sur le bord de la route, dans lesquelles on allume nos frontales.
Parc national de Cazorla
La route vers le "parque national, sierra de Cazorla" descend vers les collines en dessous. Le temps de reparer la roue arriere voilee de Delphine, au village de Peal de Becerro, et en route vers le col a 1290m. Cazorla est une belle ville au centre pave, avec son chateau pose sur des rochers aux formes baroques, son eglise haut-perchee. La montee au col de Las Palomas est parmis les plus belles du voyage. Il est de ces montees ou l'on arrive en haut et l'on se dit: "deja?" La route monte a l'ombre des pins, loin, a nos pieds, toute la plaine vallonnee plantee d'oliviers, et plus loin encore derriere nous, les montagnes que l'on a traverse les jours precedents.
Peu avant le col nous rencontrons Albert et Willy, deux Belges qui ont la soixantaine et ont une frite d'enfer: De Belgique ils vont a Algeciras, a un rythme de 120km par jour. Il se fait tard et on se quitte vite. La descente dans le parc est aussi belle que la montee. Versant est, a l'ombre, l'air se rafraichit. Une foret dense, des pins, des ruisseaux qui sortent de partout. Nous dormons dans la foret, toute proches de la source du rio Guadalquivir. Dans la descente, on voit un bouquetin. Le soir, alors qu'on fait notre tambouille, une biche passe a 100m, tranquillement. Plus tard un sanglier se ballade tout proche. Quelle foret vivante! Cette nuit un animal nous tourne autour. Sans doute un cerf. On l'apercoit au matin par la tente entr'ouverte. Il n'a pas l'air inquiet, mange les arbustes. Un mouvement trop brusque, le bruit du sac de couchage, et il disparait d'un coup.
La route vers le lac continue a descendre, etroite, aux virages serres. La foret de pins est fraiche. Nous nous baignons dans le lac du Guadalquivir, retenu par le barrage del Tranco. Avec nos velos, on accede difficillement a ses berges, mais ca en vaut la peine: il n'y a personne, que l'eau, la foret, les rochers. On dirait le lac de Vouglans dans le Jura. Notre detour par le parc a sa recompense, comme on a bien fait de passer par la! La route longe le lac sur 20km. Vers Cortijos Nuevos, le paysage est moins alpestre mais tres rural.
Nous rejoignons la N322. Quelques bornes avant Alcaraz, nous installons notre bivouac sous les arbres, a cote d'un champs de ble et autres graminees sauvages. Un grondement sourd, derriere nous, on apercoit un ciel sombre gris-violet. Un vent frais se met a souffler. Ca sent serieusement l'orage. En 2 secondes, les affaires sont remballees, notre tente est montee. "On va se faire saucer!" En face de nous, l'orage se rapproche. Il n'y a plus qu'a admirer le spectacle en attendant qu'il soit au-dessus de nous. Une colonne d'eau descend sur la terre, et au milieu d'elle les eclairs. Les nuages alentours sont attires par son centre, commes des aimants, formant des courbes gigantesques. L'orage tourne autour de nous mais ne vient pas, a peine essuyons-nous quelques grosses gouttes. La couleur du ciel est saturee. Les champs de ble semblent s'illuminer de l'interieur. Il est deja 10h et seulement la nuit tombe. Encore quelques gouttes, le tonnerre resonne puis tout se tait.
Avant Albacete
Nous passons Alcaraz, Robledo et tout un tas de petits bleds. Ce soir, sur la route en ligne droite qui traverse la platitude uniforme de la plaine cultivee d'Albacete, parsemee de pilonnes electriques, nous trouvons un petit bosquet au milieu des champs laboures. Le paysage est plat a perte de vue, au loin de petites collines et un rideau d'eoliennes. Ce bosquet est une oasis. A une centaine de metre, une belle et grande maison dont nous sommes cachees, discretes. Une voiture se gare non loin. Le chauffeur nous regarde a travers sa vitre. Le ciel semble a l'orage. Surement l'homme vient-il juste admirer le paysage, a travers le verre feuillete de son pare-brise. Nous plantons la tente, sentant les gouttes arriver. nous faisons la popote. A 21h, un flic venu avec son 4x4 par les champs se gare devant nous. C'est prohibido.
"Solo una noche, por favor"
"Pour moi pas de probleme, repond-il, mais ce sont les voisins qui ralent. Avez-vous des gilets de securite jaune fluorescent?"
OK, on deguerpi.
Alors voila, c'etait donc le voisin, proprio du terrain, qui est venu nous observer tout a l'heure, enferme dans sa voiture, a appele dare-dare les flics, sans meme oser venir nous parler. La phobie maladive des Europeens: la peur des autres. La peur rencontrer son semblable? Qui doit avoir peur de qui?
- C'est d'ailleurs depuis que nous sommes en Espagne que nous devons quemander notre chemin a 10 personnes differentes avant qu'une veuille bien nous ecouter. A un croisement, dans un centre ville, dans une station essence, on fait signe a 10 passants et 10 voitues avant qu'un d'entre eux veuille bien ouvrir sa vitre, s'arreter a nous, pour nous renseigner sur la route a suivre. La plupart du temps, la vitre reste fermee, le chauffeur demarre et fait semblant de ne pas nous voir. -
Donc ce soir, nous remballons la tente. Merci pour le couscous. Leur maison est bien barricadee. Nous roulons a peine 1km, que nous voyons une maison abandonnee, ou presque... Devant la porte a moitie fermee par une planche de bois, on appercois un landeau. Puis un enfant se devoile dans la penombre, suivi de femmes et d'un homme plus age. Ils sont roumains et acceptent que l'on dorme par ici comme une evidence. Joan, sa femme Maria, trois jeunes femmes, et deux petits enfants, David et Udi nous invitent a boire un cafe au lait. On rentre dans la maison dont le proprio doit etre mort depuis lontemps, tout est en ruine, il n'y a pas de porte, pas d'electricite, pas d'eau courante. Maria installe une table, un gros carton ou elles rapportent des cafes con leche. Tous travaillent au noir dans les champs. 2euros de l'heure. Ils retournerons bientot en Roumanie, ou ils ont une maison "plus belle, plus grande" nous rassure Maria. Jusqu'a minuit, nous passons la soiree avec eux, a la lumiere d'une bougie et d'une lampe frontale. Laborieusement, mais avec le sourire, on discute malgre la barriere des langues. Nous mettons la tente dans le hangar de pierres a cote. "Si ca se trouve, le bourgeois qui nous a envoye un flic tout a l'heure est le patron de cette famille qui nous accueille maintenant..." C'est comme un retournement de carte: d'un cote de la route, la riche maison, enfermee sur elle meme, protegee de ses murs epais, dont les habitants inconnus nous ont chasses sans nous connaitre, de peur qu'on assaille leur forteresse. Ici, de l'autre cote, une maison en ruines ouverte aux vents, insecurisee, baignee dans la penombre, eclairee juste par la faible lueur d'une bougie. Rien a voler. Ses habitants possedent une toute autre richesse.