Le lendemain, brouillard. La route toute petite nous mene a Calış, village paume. Le soir sur la route qui mene a Aksaray, nous nous arretons a un abri sur le bord de la route. A peine arrives, deux hommes avancent vers nous. Ils s'appellent Mehmet et Haci, sont kurdes, et nous invitent dans une petite maison situee derriere l'usine de pneus. C'est la qu'ils logent, bien que la fabrique soit fermee a cause du froid ; le patron est parti en Allemagne. La maison en prefabrique est composee de quelques pieces dont une seule est chauffee a pres de 30 degres. On s'installe sur les deux lits ou on evacue nos toxines comme dans un sauna. On communique en allemand, on apprend par Mehmet les problemes du pays. Il n'y a pas de travail. Obtenir un visa pour la France tient de l'impossible. Ils nous offrent le repas ce soir, une patate chacun, avec un bout de pain, un oeuf dur tout chaud. Nous passons une tres bonne nuit dans leur bicoque.
Le 17 Janvier, nous partons sous la pluie. Nous roulons 40 km sans nous arreter. Mouilles, nous passons deux heures dans un resto-route a touristes, en face du Tuz Gölü (lac sale) puis allons nous installer dans un abri a cote. Un homme du resto nous y acccompagne, prend Luc par la main et est tout heureux. une belle voiture se gare, deux couples en sortent. Ils viennent de Lybie ! On ouvre aussitot la carte de Lybie et nous voila tous autour. Un des deux hommes est diplomate. Malgre nos questions sur l'obtention du visa lybien, le sujet est evite. "Nice to meet you " ils repartent avec la meme classe qu'a leur arrivee. Rencontre tres agreable. Alors qu'ils rentrent dans la voiture, une des deux femmes revient les bras charges : six biscuits au chocolat, des sortes de pizzas epicees, et des oranges. Ca tombe bien, on fete ce soir l'anniversaire de Sophie. Nous decidons alors de nous diriger vers un autre abri a cote, une bicoque a quatre murs jaunes, dont une porte fenetre est brisee. On se faufile a l'interieur. Apres s'etre degage un bon espace au milieu des cartons, sachets et cadavres d'oiseaux, nous nous mettont a ouvrir les cartons ; on n'a que ca a faire... Ils sont remplis de bijoux en toc, le reve (pour les filles), c'est la caverne d'Ali Baba. Il y a de jolies choses mais surtout des horreurs kitchissimes. A l'apero pois chiches seches et fromage. On trouve des objets lumineux a trois diodes qui changent de couleur. Ambiance... Une bouteille de vin blanc miniature est mise sur le podium.
On continue notre route sur laquelle on voit beaucoup d'industries salines, des tas de sel s'amoncellent sur les bords du lac, immense. Les montagnes ont des couleurs ocres, jaune clair et rouge.
Sur la route vers Aksaray, nous savons que devant nous, il y a des sommets a 3000metres, nous guettons les nuages tres bas. Au loin une lueur plus claire : pente neigeuse ou brume ensoleillee? Puis la brume s'estompe a un endroit et on apercoit une pente ouest. On se dirige maintenant vers les Capadoces, un detour bienvenu vers ce site connu pour ses maisons troglodytes et ses demoiselles coiffees. Le soir on s'arrete dans un chateau en renovation, sous un batiment annexe comportant des arches en belles pierres rosees.
Le 20 Janvier, on pedale d'abord sous la pluie avant de s'arreter a Acigöl. Un petit kiosque et nous sommes au sec, puis cinq minutes apres au chaud, a la mairie. On rencontre Mustafa, un des employes, qui ressemble au plus bronze des inconnus. Il a vecu en Suisse et parle en francais comprehensible mais dont tout les mots se melangent ou sonnent faux. "boune aniversaume".
Le soir on fete l'anniversaire de Delphine dans le bloc sanitaire en hauteur d'un camping a
Kapadokya
Nous arrivons dans le parc naturel des Capadoces. Üçhisar marque le debut de l'effondrement du plateau turc. On s'arrete pour visiter, avec une joie de gamin, les maisons troglodytes creusees dans ces blocs de roche sedimentaire. On court dans l'ancienne cite, montons dans les maisons par des cavites qui demandent parfois quelques mouvements d'escalade. Un, deux puis trois etages ! Il neige par intermitence toute la journee. En cette periode, il y a peu de touristes, nous voila encore avantages par l'hiver. On rencontre un joaillier qui nous invite a boire le the dans son rocher a six etages. Il est l'un des rares a etre instale dans ces maisons de pierre. Il nous en apprend un peu plus. Elles ont ete creusees au deuxieme et troisieme siecle, y ont vecu byzantins et ottomans jusqu'il y a une cinquantaine d'annee. Les villes modernes se sont ensuite construites aux alentours.
Apres Göreme, le soir, nous trouvons un cocon de pierre haut perche pour dormir. A cinq metres de haut, varappe obligatoire pour y acceder. Un bon 4c. Un bivouac transcendantal, avec juste ce qu'il faut de place pour poser la toile de tente du dessous, et un sol qui penche legerement vers le vide. Apres quelques montees descentes, nous nous sommes aguerris. Luc en haut receptionne les saccoches que Delphine lui passe au bout d'un tendeur. Sophie passe d'en bas les saccoches a Delphine, qui s'est perchee sur une porte metallique posee contre la paroi. Toutes nos affaires en haut, nous pouvons virer la porte et laisser libre notre petite voie. Notre abri est fait de deux parties dont le centre s'est effondre. Au dessus de la voie, un bloc enorme est suspendu, tenant par on ne sait pas trop ou.
On quitte le parc naturel en passant par Ürgüp sur une petite route tres belle dans un paysage sauvage. On y croise deux trois chiens dont l'un d'eux est rachitique et affame. Quelques bouts de pain et il nous suit. Il est encore jeune et fait peine a voir. Plus loin une horde d'une vingtaine de chiens appercoit notre pauvre compagnon qui se fait manger sous nos yeux impuissants.
Cinq bornes avant Cemil, premier gros ennui du voyage : l'axe de la roue arriere de Delphine casse. Nous voila en train de fabriquer un tandem, mais pas question de s'asseoir dessus. Sophie et Delphine le poussent apres avoir charge Luc des deux saccoches arrieres de Delphine. On trouve refuge dans une des nombreuses caves a la Tolkien peu avant le village. On y laisse les affaires puis fermons la lourde porte en bois pour un tour dans les montagnes.
Apres notre nuit dans cette maison de Hobbits nous allons au village. Peut on y trouver une roue? Les habitants envoient Luc dans une voiture qui part a Ürgüp pour y trouver un nouvel axe. Pendant ce temps, les filles croquent le village et son ancienne eglise orthodoxe. Des grecs ont vecu dans la region avant qu'Ataturc ne les chasse en 1923. Lorsque Luc revient, Cabir Coşkuner nous invite a boire le the et a dejeuner dans sa belle petite maison ou il vit avec sa mere Eva. Cabir nous fait visiter le site historique qu'il entretient, le monastere Keşlik, ancien monastere orthodoxe du 13e creuse dans la pierre. Jusqu'a 300 moines y ont vecu. Deux eglises, un refectoire, un pigeonier, une cave a vin avec pressoir, des cuisines, de nombreuses chambres, des passages secrets, des pieces ou se refugier et se cacher. Le site est un ecrin de verdure ou poussent amandiers, abricotiers, vignes, jujubiers... Nous reprenons la route a travers les peupliers qui parsement la vallee puis remontons 300 metres, en pensant arriver a un col. Nous retombons en fait sur le plateau turc, d'Hodul Daği. Le soleil decide alors de sortir le grand jeu, il envoit des taches colorees oranges sur une des montagnes toutes proches, un jaune eblouissant contournant les nuages qui se deplacent lentement dans un ciel immense, des teintes rosees a la base des sommets a 3000m. Il fait presque nuit lorsque nous trouvons une chapelle troglodyte perchee en hauteur.
Nuit tres fraiche, nous partons apres avoir grate la glace a coups de couteau. Rien n'y fait, la glace est incassable, nous passerons les deux cols, 1490 puis 1600m, bloques sur le deuxieme plateau. Nous sommes frigorifies dans la descente et nous arretons a Bayağıl dans une station essence.